« Les dessous de la réforme du divorce sans juge », J.S.S N°53, du 6 juillet 2016,
L’Assemblée nationale a adopté en mai dernier, en première instance, par 301 voix contre 198, le projet de loi J21, porté par Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice. Le volet contesté du divorce par consentement mutuel sans juge, a peu pesé dans les votes. Il se dit que la chancellerie ferait tout pour empêcher un débat en seconde lecture, par le recours à une commission mixte paritaire.
Rome ne s’est pas faite en un jour
Tambours battants, le ministère de la Justice, conduit ses réformes. Les députés ont entériné, le 17 mai, le projet de loi J21, malgré les désaccords autour de l’amendement portant sur le divorce par consentement mutuel. Si Jean-Jacques Urvoas,n’a eu de cesse de marteler les avantages de sa réforme, au point de convaincre les députés, 75 % des Français1 , jusqu’au Conseil National des Barreaux (CNB), cela ne suffit pas à masquer le boitillement du texte. Chaque avancée annoncée semble appeler son contre-argument. L’idée selon laquelle la réforme permettrait la réalisation d’économie, peine à convaincre. Pour rappel, avant Urvoas, les couples désireux de divorcer et d’accords, en tous points, sur les conditions de la séparation pouvaient recourir au même avocat (80 % des cas). Sous l’ère Urvoas, chacun est obligé de s’attacher les services d’un avocat, quels que soient les revenus du foyer. S’il est besoin de le dire, un divorce, indépendamment de sa forme, coûte cher : les honoraires sont
compris entre 1 200et 3 600euros TTC, selon les régions. L’aide juridictionnelle pourra, certes, permettre de venir en aide aux couples les plus pauvres. Mais il leur faudra attendre pas moins de 6 mois, pour qu’une prise en charge soit accordée par le bureau de l’aide juridictionnelle… Au règlement des deux d’avocats, le couple rajoutera 50euros de frais de notaires obligatoires. La rumeur voudrait que, certains notaires envisagent, en cas de difficultés liées à une affaire, de brandir l’argument de la convention de
dépassement d’honoraires. Chaque membre du couple devra enfin, payer la somme de 400euros, relatives aux frais d’enregistrement du divorce.En France, plus de 130 000 divorces sont prononcés tous les ans, et plus de la moitié le sont par consentement mutuel. Un récent articledu Monde, en date du14juin, calculait que la réforme appliquée, l’économie pour le gouvernement sera de «12,7emplois de magistrats et de 93greffiers, soit une économie de 4,25 millions d’euros ». Nous laissons au lecteur le soin de titrer les conclusions. Le désengorgement des tribunaux ? L’argumen
est, là aussi, bancal ou fallacieux. Il ne vaudrait que dans une logique panglossienne. En matière de divorce, rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît.
Le recours au juge est parfois inévitable: si l’enfant mineur, s’oppose aux conditions du divorce, il devra être entendu par le juge. Seul ce dernier a la clairvoyance utile à déterminer que, les conditions du divorce ne mettent pas en péril l’enfant ou l’un des époux vulnérable. Bien sûr, l’on pourra toujours avancer que les deux avocats mandatés veilleront à la sécurité de l’enfant. Mais comme l’a souligné Marie-Jane Ody, juge à la Cour d’appel de Paris et vice-présidente de l’Union syndicale
1) D’après les chiffres du ministère de la Justice, ODOXA/Le Parisien
des magistrats, dans une interview accordée au Parisien magazine, en mai dernier : « le rôle de l’avocat est de défendre leurs clients, celui du juge est de s’assurer que l’intérêt de l’enfant est préservé ». Enfin, si l’un des époux venait à se rétracter, il sera là-aussi nécessaire de recourir au juge.
La commission Guinchard2 mettait déjà en garde en 2008 : « le risque d’un contentieux est très important à l’issue d’un divorce déjudiciarisé, la commission a considéré que l’économie budgétaire que représenterait pour l’état, une
déjudiciarisation serait hypothétique, sinon nulle ». à ce stade, il convient de s’interroger sur les motivations profondes du gouvernement.
Quid des accords internationaux ?
En adoptant le projet de loi J21, la France semble avoir fait peu de cas des conventions internationales et des accords bilatéraux passés avec plusieurs pays. La compétence du juge aux Affaires familiales de céans est, par exemple, établie au regard des dispositions de l’article3 du règlement du Conseil du 27 novembre 2003, dit
Bruxelles II bis, en vertu duquel sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce des époux les juridictions de l’état membre sur le territoire duquel se trouve la résidence habituelle des époux. Citons encore, l’article 3
a) du règlement (CE) du Conseil n°2201/2003 du 27 novembre 2003 dispose que sont compétentes pour statuer sur le divorce, la séparation de corps et l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’état membre et les questions de résidences de l’un ou de l’autre des époux et de nationalités permettent de déterminer la compétence d’un tribunal d’un état ou le tribunal d’un autre état. Ajoutons, la question de la loi applicable en matière de divorce : le règlement UE n° 1259/2010du 20décembre 2010entré en vigueur au 21juin 2012dit règlement Rome III.
L’article8 du dit règlement stipule qu’à défaut de choix conformément à l’article5, le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi de l’état :
a) de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction; ou à défaut,
b) de la dernière résidence habituelle des époux,pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet état au moment de la saisine de la juridiction…
Loin de l’Europe, la convention franco-marocaine prévoit que, le premier juge saisit, marocain ou
français, soit compétent pour traiter du divorce. Si un second juge de l’autre pays est saisi, ce dernier
doit rendre une décision de surseoir à statuer pour permettre, l’exequatur de la décision rendue à l’étranger ou en France. La liste est longue. Rappelons que la France a signé une centaine de conventions en matière d’exequatur. Certaines attribuent la compétence au juge des référés, d’autres au juge de droit commun mais fixant les conditions particulières d’octroi de l’exequatur3
Faut-il au nom d’une réforme balayer d’un revers de mains des accords passé de longue date ? Dans une interview accordé à la radio RMC, Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris, en est arrivé au même constat : « on a demandé aux pays du Maghreb, à de nombreux pays d’Afrique de ne pas reconnaître le divorce religieux et de n’accepter le divorce qu’avec un juge. Après qu’on les a convaincu qu’il fallait un divorce avec un juge on va leur expliquer exactement le contraire». Il y a là un problème d’envergure.
La pomme de discorde
Même après l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale, la réforme du divorce par
consentement mutuel, continue de créer des dissensions. Pascal Eydoux, président du CNB,compte au nombre des défenseurs du divorce par consentement mutuel sans recours au juge. à l’en croire cette mesure irait dans le sens de l’évolution des schémas familiaux actuels : les couples étant de plus en plus nombreux à se séparer d’un
commun accord, lorsqu’il n’y a pas litiges, pourquoi s’engager devant les tribunaux? Il suffirait selon lui, et comme le veut la réforme, de simplement faire constater l’accord…
Le barreau de Paris de son côté, par la voix de Frédéric Sicard, s’oppose et dit que le juge reste l’ultime protection pour les membres les plus faibles du couple, entre autres désaccords.L’Union syndicale des magistrats, elle, représentée par sa vice-présidente Marie-Jane Ody, dénonce le recours à deux avocats, dans le cas des couples
sans enfants, sans patrimoine, etc. Marie-Jane Ody s’interroge: « dans un objectif de déjudiciarisation et de simplification pourquoi ne pas passer gratuitement devant un officier d’état civil pour dissoudre ces unions ?».
Le divorce par consentement mutuel saura bientôt quel sort lui sera réservé, avant qu’un nouveau gouvernement ne vienne apporter sa pierre à un édifice rendu branlant.
Rabah Hached,
avocat au barreau de Paris,
Cabinet Hached
2016-1903
2) la commission Guinchard de 2008, prévoit notamment une procédure allégée restant la compétence du juge, en présence de l’avocat et au coût régulé.
3) convention bilatérale franco-belge du 8 juillet 1899 (Déc.30 juillet 1900, J.O.1er août 1900, la convention bilatérale franco-italienne du 03 juin 1930 (Déc.26 novembre 1933, J.O. 26 novembre 1933, convention bilatérale franco-anglaise du 18 janvier 1934 (Déc. 24 juin 1936, J.O.30 juin 1936…)