« Le divorce sans juge, une erreur » Le Journal La Tribune du 18 mai 2016
La recherche d’économies budgétaires conduit le gouvernement à instaurer le divorce sans juge. C’est là une erreur, et les économies pourraient être trouvées autrement. Par Rabah Hached, docteur en droit, avocat au barreau de Paris
Le 30 avril, Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice, poursuivait la « mission » de déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel, initiée en 2008 par le gouvernement Fillon, en déposant auprès de la commission des lois de l’Assemblée nationale un amendement gouvernemental. Qu’on ne s’y trompe pas, l’adoption de cet amendement par la commission des lois de l’Assemblée nationale, ne signifie pas que les avocats l’approuvent.
Le notaire investi du pouvoir du juge
Et comme la rengaine, la tentative de fragilisation de la justice va, vient, vire, tourne et se traîne. Les avocats s’opposent à l’amendement du ministre de la Justice, qui entend transférer le pouvoir du juge au notaire, pour les procédures de divorce par consentement mutuel ou à l’amiable. Le juge, absent de la procédure, comme le voudrait M. Urvoas, rien ne garantirait que le divorce et ses effets (répartition équitable des biens, pension alimentaire, indemnité compensatoire, etc.) a été prononcé dans un consentement libre et éclairé. Dit autrement, le notaire, investi du pouvoir du juge, aura-t-il seulement la clairvoyance utile à engager que, les conditions du divorce mettent en péril les enfants ou l’un des époux vulnérable. Un notaire pourra-t-il endosser le rôle morale, nécessaire à la préservation de l’équilibre des intérêts ?
L’Unaf s’y oppose
S’il est besoin de le dire : l’homologation d’un divorce n’est pas qu’une signature apposée sur un document. Il trouve sa continuité, en dehors du Tribunal. L’Union nationale des associations familiales (Unaf), opposée au divorce sans juge, est venue le rappeler dans un communiqué, diffusé le 4 mai dernier : « le juge est le garant de l’intérêt des enfants et du maintien de leurs liens avec leurs deux parents après la séparation ».
En justice, rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît
Nous entendons déjà dire que, plus de la moitié des 130 000 divorces prononcés en France, chaque année, se font par consentement mutuel*. Mais, cette procédure, n’a de consentie ou d’amiable que l’appellation. Qu’en est-il des cas de divorce ou l’un des époux est de nationalité étrangère ? Des accords bilatéraux ou des conventions internationales régissent ce type de procédure. Prenons le cas de la convention franco-marocaine : elle prévoit que, le premier juge saisi, marocain ou français, soit compétent pour traiter du divorce. Si un second juge de l’autre pays est saisit, ce dernier doit rendre une décision de surseoir à statuer pour permettre, l’exequatur de la décision rendue à l’étranger ou en France…
Faudrait-il déconstruire des accords internationaux pour répondre à l’amendement ? En justice rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît. La justice est une mécanique complexe. Enlever une pièce et, elle aura des conséquences sur l’ensemble. Faisons fi des nuances et considérons que le notaire parvienne à dépasser son rôle premier, celui d’enregistrer les décisions du juge, aura-t-il seulement le temps nécessaire à la bonne conduite d’un divorce, quand nous savons qu’un juge traite en moyenne un millier de dossiers ?
D’autres diront que, l’amendement doit être greffé à la réforme du projet de loi « Justice du XXIe siècle** » pour l’assouplissement de la machine administrative, le désengorgement des tribunaux, la réduction des dépenses, etc.
Mais, tôt ou tard, le recours au juge est inévitable : si, au moment du divorce, l’enfant mineur souhaite être entendu, il devra l’être par un juge. En cas de rétractation de l’un des époux de sa volonté de divorcer par consentement mutuel, il sera nécessaire de faire appel au juge. L’idée d’une réduction des dépenses est, elle aussi, fragile : l’amendement prévoit le recours à un second avocat qui, pour la majorité des cas, sera financé par l’aide juridictionnelle. En 2008, la commission Guinchard mettait déjà en garde : « le risque d’un contentieux est très important à l’issue d’un divorce déjudiciarisé, la commission a considéré que l’économie budgétaire que représenterait pour l’Etat, une déjudiciarisation serait hypothétique, sinon nulle*** ».Tout ceci nous conduit à nous interroger sur le motif réel du ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas.
Des économies?
Le budget de la justice est parmi l’un des plus faibles en France. Il semble, qu’au lieu de lui apporter les moyens d’exercer sereinement sa mission de service public, certains essayent de minimiser son rôle. Nous ne saurions « assainir » les institutions comme nous le faisons grossièrement pour nos entreprises : en externalisant, en délocalisation ou en réduisant les effectifs. Au contraire, il faudrait davantage de magistrats et de greffiers. Il y aura certes un coût. Mais des économies pourront être faites par ailleurs, notamment grâce à la numérisation des procédures. Avant de vouloir écarter le juge, d’un coup de signature, sans doute, aurait-il fallu que le Gouvernement n’emprunte pas des chemins de traverse et consulte les avocats, les juges ou les associations comme l’Unaf. La réforme doit être revue, polis et repolis avant qu’une décision ne soit rendue dans l’hémicycle.
* le divorce par consentement mutuel a été institué en 1975 en France
** Christiane Taubira, alors garde des Sceaux envisageait, en 2014, de confier la procédure au greffier.
*** la commission Guinchard de 2008, prévoit notamment une procédure allégée restant la compétence du juge, en présence de l’avocat et au coût régulé.
Rabah Hached, docteur en droit, avocat au barreau de Paris, président de la commission internationale Euro-Méditerranée, président et fondateur l’association Barreau Pluriel. http://www.cabinet-hached.net/